C’est plus facile à écrire qu’à dire, ça, météorologiquement…
Personne n’est sans savoir qu’en ce moment le temps est… humide… en Bretagne. Alors oui, il pleut, mais il vente aussi, il tempête, il se rappelle qu’on est tous petits devant la nature, elle remet toujours les pendules à l’heure.
Les conséquences pour nous?
Elles ne sont pas anodines :
D’abord, on a eu de l’eau dans le chantier 4 fois au moins, mais c’est vrai qu’on ne se lève pas toujours la nuit pour surveiller le niveau d’eau. Ce n’est pas trop grave, on prend nos précautions, rien ne traine au sol, surtout pas ce qui est électrique. La cercleuse est surélevée, le compresseur aussi, les balances sont toujours sur leurs tabourets. Les paniers eux, ont retrouvé leur place au grenier, là où ils sont toujours stockés pour les expéditions.
Mais notre métier premier, c’est de travailler les huîtres. Ça veut dire qu’on les lève des parcs, on les trie, avant de les vendre ou de les remettre à pousser sur les parcs si leur taille ou âge le demande. Un travail de production qui exige de la main d’oeuvre, trier c’est long quand il y a des paquets à défaire, ou du décollage (les huîtres ont parfois du naissain sur la coquille, qui grandit plus que l’huître elle-même et qu’il faut décoller et mettre en « une à une » )
Or, actuellement, la situation particulière de la Ria d’Etel fait que les marées ne descendent pas.
Pourquoi? J’avais déjà fait un billet là-dessus, qui explique le phénomène de la barre d’Etel. Ce mouvement du banc de sable qui ferme l’entrée de la ria et empêche l’eau de déchaler.
Mais le phénomène empire, quelque soit le niveau de marée, avec l’effet du vent. Depuis plus de deux mois, le vent est à l’ouest, voire sud ouest, il pousse l’eau dans la ria… Aujourd’hui nous avons un coefficient de 115, la marée monte très haut, mais ne descend pas. Il faudra que les vents passent au nord, nord est pour que l’eau s’échappe enfin du goulot, et que la barre soit déplacée là où elle n’empêche rien…
Ce qui est drôle, c’est que nous voyons les amateurs de pêche à pieds se précipiter sur le banc de sable, attendre et attendre encore que la promesse d’un gros coefficient fasse descendre la mer… en vain.
Que faisons nous en attendant?
On attend pas, tu penses bien. Jean-Noël passe des heures à draguer les huîtres de sol, que nous trions au tapis ensuite.
Les trop petites que nous avons à remettre en poche, sont soit mises sur des tables que nous avons du installer dans le bassin submersible, soit on tente de les jeter du pont du chaland sur les tables, sans pouvoir les fixer avec les crochets car nous avons trop d’eau et que personne n’est encore équipé de combinaisons de plongée.
Les petites huîtres de roche que nous recevons avec les pêcheurs à pieds, sont mises en poche et stockées dans le bassin.
Ça c’est un des rares jours où le bassin a été à sec…
Jean-Noël et Hyacinthe s’amusent parfois à faire des châteaux de sable… C’est tout bêtement le sable et la vase qui sont évacués du laveur (l’engin qui rince les huîtres à l’eau de mer, avant qu’elles n’arrivent sur le tapis) récoltés dans une fosse, vidés à la pelle dans des containers et qu’on remet à la côte pour rendre à la nature…
Hyacinthe accroche le filin du treuil pour lever le container
Plouf!
Et nous semons des huîtres, ces huîtres que nous avons mises une à une, qui ne sont pas trop petites pour qu’elles résistent mieux au passage des « bezus » ces daurades royales qui broient la coquille des huîtres, ces poissons qu’on dit « à gueule pavée » puisque trois rangées de dents, pavées, sont capable de croquer n’importe quoi, y compris ton doigt. C’est très bon la daurade royale :-). (J’ai du regarder le dictionnaire pour savoir si c’était dorade ou daurade, et c’est bien uniquement la royale qui s’orthographie « au »).
Semer c’est lancer les huîtres de façon qu’elles ne retombent pas en paquet sur le sol, une manne se vide en trois fois, trois directions différentes.
Jean-Noël est toujours le plus rapide…
La dernière conséquence, c’est le travail que nous aurons à faire dès que les marées vont revenir à l’ordre naturel des choses :
Fixer les poches qui ne l’ont pas été, enlever les poches du bassin submersible pour les mettre enfin sur les tables sur parcs… Mais d’abord, il faudra faire un peu de place, car nous avons des huîtres en pousse sur les parcs qui auraient dû être dédoublées déjà… (Les petites huîtres ont grandi, les poches deviennent inadaptées avec un maillage trop petit pour que le courant passe correctement dedans si les huîtres prennent trop de place, et des huîtres tassées ne poussent pas bien, il faut refaire des poches avec 170 bêtes maximum à l’intérieur qui donneront 14 kg en fin de croissance) (Et une poche de 14 kg reste à 14 kg qu’il y ait 170 ou 500 huîtres à l’intérieur, la différence étant la taille des huîtres).
Nous avons quelques piles de tables neuves et d’occasion à déplacer et réaligner une fois que Jean-Noël aura pu voir le sol pour savoir où passer la barre et les chaines…
Il a aussi besoin de voir les parcs à sec pour constater sur les endroits où il a passé la drague, s’il reste des huîtres ou non, et où, pour y retourner faire un tour et finir de glaner. C’est comme ça qu’on dit quand on arrive à la fin des huîtres qui restent au sol, on glane. Et en général, une fois que c’est vu, on y va avec râteau/fourche pour ramasser les « éparses ».
Donc, tout va bien, on a toujours possibilité de travailler, mais le casse tête du patron chaque matin et en cours de journée, c’est de trouver comment faire, par quel bout commencer, choisir les priorités en fonction des possibilités.
Quand on cherche la première qualité d’un ostréiculteur, c’est bien l’adaptabilité!
La ria submergée, mais également inondée par son bassin versant. Une fois encore se vérifie l’adage selon lequel le mauvais temps, c’est le même temps qui dure trop longtemps. Avec le retour de l’anticyclone, vous allez pouvoir rétablir la situation. Avec une charge de travail en plus pour le retard à rattraper. Courage.