En voilà un curieux titre.
Pourquoi m’est-il venue l’envie d’écrire sur un sujet qui, de fait, n’intéresse sans doute pas grand monde, en dehors de moi. Je ne suis, en plus, pas sociologue ni ethnologue et je n’ai donc pas les outils ni le vocabulaire pour faire un papier sur ce qui, pourtant, me taraude, travaille, titille, tous les jours, sans aucune exception.
Il y a parfois des évidences.
Ainsi, j’ai découvert que j’étais une « fille », surtout une fille, en venant travailler dans ce monde, l’ostréiculture.
Ne vous y trompez pas, j’avais déjà cette conscience d’appartenir à un genre, accepté, inné ou acquis, peu importe, aussi à l’aise en pantalon qu’en jupe, je ne m’étais juste pas vraiment posé la question, cela faisait partie de ma vie, sans complication.
Dans le milieu où j’ai grandi, il n’y a pas de métiers vraiment féminin ou masculin, tout le monde avait sa chance, l’ascenseur social était plus de classe que de genre.
Dans le monde ostréicole, pour ne parler que de celui-là, même s’il pourrait s’allier à celui de la pêche ou de l’agriculture, dans ce monde marin, où j’ai atterri par amour certainement, par curiosité sans doute, où je suis restée par choix, j’ai découvert à mon plus grand effarement, que le féminin n’a pas la même valeur que le masculin. Pas la même force. Pas les mêmes droits.
Les choses changent, certes. Mais pas à la même vitesse partout.
Ainsi, il ne pourrait s’agir que d’un ressenti, pas même d’une gêne, mais d’un quotidien.
Parfois, c’est plus facile de rester à la place où l’on nous met. Parfois c’est très difficile d’y rester, parce que la sensibilité de chacun peut se heurter à un comportement qui étonne, ou blesse et ma réaction est immédiate. Si elle ne l’est pas c’est dommage car elle se traîne comme un vieux ciré qui ne sèche jamais.
Depuis que je suis ici, je porte beaucoup de chose mais pas de maquillage ni de sourire commercial. Ce métier a une caractéristique certaine : il est impossible de garder une façade propre et rutilante face au vent et aux embruns.
Je n’ai jamais été aussi « sale » ni aussi « propre ». J’ai fait une croix sur le pantalon nickel, les talons et le mascara. Je continue d’aimer les accessoires, mais tous ne sont pas compatibles. J’ai laissé tomber l’idée de me changer plusieurs fois par jour, il y a les jours avec marée et ceux de bureau. Ok, parfois je déroge et je mixe le chantier et le bureau sous la cotte et le ciré jaune.
Aux débuts, j’ai tenté de faire comme mon patron, autant et aussi lourd. Je n’ai pas réussi, tendinites et capsulites me donnant une limite physique, depuis acceptée (dans la douleur).
Il y a des choses que je ne fais pas, que je ne veux pas faire, parce que j’ai compris qu’il ne sert à rien de vouloir être fort comme un homme.
Peut-être suffit-il d’être forte comme une femme.
On dit que c’est la mer qui prend l’homme. Est-ce donc que la mer est féminine ? Ne serions nous pas les premières à pouvoir la comprendre, son cycle lié au nôtre par une amie commune ?
On dit aussi que l’ostréiculture n’est pas un métier marin. Pas complètement, puisqu’il est de fait à moitié terrien. En quoi cela serait-il un défaut ? N’est-ce pas plutôt un défi ? Savoir lire la terre et la mer, comme deux soeurs, d’une même famille.
Pourtant, si l’on est pas marin, impossible de s’adonner à cette activité. Le bateau et la mer sont notre quotidien même si la terre est sous nos pieds et la côte au bout de notre regard. Alors, l’ostréiculture, ni marin ni féminin ?
Contrairement à la coupe, la mer n’est pas toujours pleine.
On peut se demander où elle va quand elle s’en va.
Quand on part « à la marée » c’est comme si on lui courait après, sans espoir de la rattraper. Et quand elle remonte, on va plus vite, on sait qu’il ne nous reste que peu de temps pour finir ce que nous avons commencé, ah mince ! Trop tard, elle a gagné !
Tout est fluide, mouvant, une danse, un aller retour perpétuel où le corps se trouve parfois embringué sans savoir comment il va tenir, alors le vent intervient qui pose le pas, nous retient, nous fait rentrer à l’abri, ou nous fouette les sangs, vole le temps des marées en poussant l’onde aussi haut qu’il peut, en pesant de tout son poids pour qu’elle reste là, dans la ria.
Féminin, masculin, dans ces moments-là ça ne compte plus, ça ne compte pas, tout bras est bon à prendre, même si ça fait mal, même si ça rate.
On se sort grandi de ces luttes là, on sait mieux où l’on se place en terme de force et de faiblesse, et ce n’est pas toujours le masculin qui l’emporte.
Demande au vent.

L’autre jour un ami a voulu écrire ostréicultrice sur son téléphone, et il a fallu corriger, entrer ce mot de vocabulaire qui n’existe pas dans les paramètres.
Je suis devenue ostréicultrice en papier quand j’ai fini le parcours marin-ouvrier 1 et 2, puis le Patron 1, et enfin le fameux 280 heures qui, au final donne le droit d’accéder aux concessions.
Mais je suis ostréicultrice depuis moins longtemps que ça, depuis que je dors moins bien la nuit, depuis que j’ai quelques cicatrices aux mains, depuis que je sais monter une palette, remplir une bourriche, visualiser un stock, depuis que je sais quelles poches sont à tourner en priorité ou à dédoubler, depuis que je ramasse le naissain au balai et à la pelle entre les grains de poussière pour ne pas perdre la moindre chance de survie du plus petit coquillage. Depuis que la couleur de l’eau m’enthousiasme ou me désespère, que les trop fortes chaleurs m’effraient, que les alertes me tiennent en palpitation. Depuis que j’aime la pluie.
Ou bien je suis ostréicultrice depuis beaucoup plus longtemps, depuis que je vis au rythme des marées, que je ne mange jamais aux mêmes heures, que parfois on déjeune à 16:00.
Depuis que mon patron de mari décide de nos moments de repos, ou pas, parce que ce week-end c’est le naissain, ou bien c’est la grande marée qu’il ne faut pas rater. Je suis ostréicultrice amoureuse quand on fait les marées à deux.
Alors, nous sommes beaucoup d’ostréicultrices, en vrai ou sur le papier, à faire ce métier d’homme.
Il y a celle qui vient tous les matins, après avoir déposé ses enfants à la crèche, à l’école, il y a celle qui laisse son car garé après la tournée matinale avant d’enfiler ses bottes pour son deuxième métier de la journée, il y a celle qui est née dedans et qui pour rien au monde ne vivrait ailleurs, il y a celle qui a quitté le woofing en maraîchage de l’été et qui vient s’essayer à l’humidité. Il y a celle dont ce sera la vocation et celle qui changera de vie après.
Et puis il y a « la femme de ».
C’est la plus nombreuse.
Celle qui gère « tout le reste ».
Celle qui lave les gants, les tabliers, fait un café, le bon de livraison, la facture, la livraison des enfants en passant, répond au téléphone, ou pas parce qu’elle trie au chantier, ou bien qu’elle décroche les poches à la marée.
Pourtant elles n’a pas de bras puissants, mais elle sait faire un massage cardiaque. Elle écoute, elle entends, j’espère que de temps en temps, elle râle, ce n’est que justice.
Femme, ostréicultrice, féminin d’ostréiculteur, fait partie du dictionnaire de mon quotidien. Tient le toi pour dit !
En attendant, c’est 23 ! Bonne année à toi !
Un bel article, merci pour cette leçon de vie! Amitiés.
Ah ah ! En aucun cas une leçon, juste un ressenti ! Bisous à vous les amis et belle année ! (Merci de lire !)