
Quand j’ai commencé à travailler avec Jean-Noël, j’ai découvert un monde. Un monde très différent du mien. Je suis entrée en ostréiculture, peut-être comme on entre en religion, mais pas comme dans du beurre.
Jusqu’alors, mes seuls contacts avec la nature, étaient ceux qui m’avaient fait gambader dans la campagne finistérienne quand j’étais gamine, ou bien à bord d’un bateau, en marchant, voire même en courant dans les chemins creux, quelle chance d’avoir eu ces paysages là, au pied de la maison.
Bref, un contact du dimanche, le doigt sur le déclencheur de l’appareil photo, le nez en l’air et la conscience ailleurs.
Depuis, j’ai eu mal au dos, aux genoux, je suis tombée à l’eau, j’ai fait le plein des cuissardes et même de la cotte! Bref, j’ai fait connaissance avec l’ostréiculture!.
Avant, je réfléchissais beaucoup. Je ne faisais même que ça. Donc, je ne « faisais » rien. Le sens du travail manuel est venu avec ma peau fripée d’eau de mer, des griffures sur les avant-bras, les ongles noirs et la peau souillée de vase, ou encore le sel qui tire, et le soleil qui brûle.
L’ostréiculture sent l’iode et la vase, et le vent dans les cheveux.
Souvent, je suis démunie. Rien ne se maîtrise, du flot ou du jusant, de la vague et des courants. Rien ne se laisse faire, de la pluie et du vent.
Mon ostréiculteur de mari est bien incapable de donner un programme J-2, surtout en cette saison, où nous ne comptons plus les jours de tempête.
J’entendais récemment un collègue exprimer comme un regret de la considération de son métier par les autres. Les gens qui ne le pratiquent pas.
Il disait qu’on nous considérait comme des « gueux ».
J’étais triste alors. Triste pour lui qui se sentait atteint dans son coeur par cet adjectif peu reluisant.
Si nous sommes considérés comme gueux, que ce soit gueux de la mer et nous devons en être fiers.
Il est vrai que nous sommes parfois très sales. Sales de la tête aux pieds. Pourtant, je ne me suis jamais « sentie » sale, puisque cette vase, ce parfum, sont ceux que la nature nous donne. Ça peut sentir bon la vase quand tu sais que c’est un lit pour les huîtres. Ces taches sur la peau, cette boue qui se dessine, n’est-elle pas une trace de ce qui nous fait ? Et j’en connais qui, avec de la terre, font des oeuvres d’art.
Récemment nous avons été confrontés (et certains le sont depuis plus longtemps, et d’autres le sont encore, et je croise les doigts que la sérénité revienne) à une crise sanitaire qui, elle, puait.
Ce sont les humains qui ont sali la nature, qui ont sali la mer.
Il me semble que l’ostréiculture, à moi qui réfléchissais beaucoup trop, est un retour à l’essentiel, à la base de la pyramide, à la respiration des marées, à la chanson du vent, aux larmes de la pluie. L’ostréiculture, n’est injuste que par la cupidité humaine, la recherche du profit.
L’Ostréiculture est un beau métier, même s’il est impitoyable. Métier du vivant qui rend vivant, parce que chaque jour, il faut se battre, pour rester debout, parce que chaque jour son lot de surprises, ses adaptations perpétuelles.
Non, il n’y a pas de gueux à travailler la mer, comme il n’y a pas de gueux à travailler la terre. Il n’y a que des gens d’un pays, qui frottent leur cuir à une nature exigeante, avec qui vivre demande respect mutuel, et abnégation.
Jean-Noël est ostréiculteur de coeur et d’âme, je ne cherche plus à atteindre cet état là, sans doute par manque de courage devant la tâche, et mon admiration devant elle n’en n’est que plus grande.
D’avoir essayé, de faire tout comme, et d’avoir rencontré ce qu’on appelle « mes limites » me donne à penser que nul ne peut juger de ce qu’il ne connaît pas. Humblement.

Tu as une belle plume, de beaux sentiments, un beau métier, un bel homme (!), bref, il n’y a rien à jeter, chez vous, les amis, ne changez rien. Amitiés.
Merci Patrick! Il faut savoir remercier l’éducation nationale de m’avoir appris à écrire et surtout à lire ! Ceci doit expliquer cela ! 😀
On va essayer de ne rien changer, ou bien de ne pas empirer… Bises à tous les deux !
I always enjoy the poetry of your writings about the universe of oysters. You are certainly gifted with such a labour of love and a labour of nature! The work is so demanding and that puts you on the frontier of what actually the most important in life, that is, living in tune with our environment and respecting the duality of human existence, being both an observer and participant of the natural world in all its simple glory. I really admire your committment and attachment to the oyster and its place on the sea shore, itself a duality, part land and part sea, an example of the world in-between (entre-deux). I imagine the last few months have been such a burden and disaster for you so I hope you can pull through and can look forward to a brighter future, though signs in the long run are far from encouraging. Take care!
Bonjour Nigel et merci mille fois! C’est juste une chance de pouvoir dire cette passion, et une chance d’avoir des lecteurs qui laissent d’aussi jolis commentaires ! À bientôt !
Magnifique texte Tifenn.
Ecrit « avec les tripes »…
(Je vais avoir l’air bête, mais je vous connais?
? )
Merci, oui, écrit comme je le ressens, et sincèrement. Le métier de marin pêcheur, et plein d’autres métiers manuels, sont tout aussi beaux et respectables, une forme d’intelligence du geste, qui rend beau.
C’est une chance de vivre ça. Même si parfois c’est coton.
Pour désigner les gens qui « travaillent » la terre ou la mer, j’aime le mot « cultivateur ».
Parce que dans ce mot il y a « cultiver » et cultiver, c’est prendre soin…
Peut-être, sans doute, cela vient-il de mes origines paysannes et du profond respect que j’ai eu pour la génération de mes grands-parents, toujours est-il que j’ai tendance à placer le métier de cultivateur au-dessus de tous les métiers…
Car tout de même, il n’est pas donné à tous les travailleurs, d’être de moitié avec la nature, de créer les conditions qui donnent naissance à la vie. Le paysan, dans ses champs, l’ostréiculteur dans sa mer oeuvrent en collaboration avec la Vie. Mieux, ils nourrissent cette Vie. Ils baignent dans un milieu vivant, plantes, animaux. Grâce à eux, la terre, la mer sont débordants de vie.
Les gens qui ignorent, méprisent, moquent ces métiers resteront eux-mêmes ignorants des mille et mille choses que le cultivateur connaît, lui dont le quotidien est l’expérience directe de la vie…
Amitiés…