
À l’origine était l’huître plate.
Le banc de sable devant chez nous est un lieu de pêche à pieds très apprécié des prédateurs à deux pattes. Autrefois, c’était déjà le cas, les gestes immémoriaux restent, et chacun tente, avec la cueillette à la main, d’améliorer son quotidien.
Depuis toujours, ce sont les huîtres plates qui vivaient ici. Elles étaient nombreuses, tellement, que la géographie s’en est inspirée pour lui donner le nom du lieu. L’Istreg. Le pays de l’huître ou l’huîtrière. Les gens d’ici vivaient chez l’huître plate, comme tu vis chez ton chat.
Et puis, les hommes étant ce qu’ils sont, ils ont pêché et pêché tant et plus, qu’à la fin du XIXème siècle, Napoléon III s’inquiète du rapport du ministère de l’agriculture et du commerce (cherchez l’erreur!) qui fait état de l’appauvrissement global des bancs naturels d’huîtres.
Mais pourquoi cette ressource millénaire se voyait-elle décimée?
Le développement industriel, passant par l’arrivée du chemin de fer sur la côte Atlantique, a facilité les transports, d’humains et de marchandises, dont l’huître, précieuse et recherchée par la haute société.
Un naturaliste est choisi par Napoléon III pour trouver une solution qui serait de maîtriser le captage et la reproduction des huîtres.
Victor Coste (Jacques Marie Cyprien), a déjà une certaine expérience sur la reproduction artificielle des poissons.
En 1852, il prend son bâton de pèlerin et voyage jusqu’en Italie pour comprendre et trouver des techniques pour la mise en place d’un système de captage des larves d’huîtres, et éviter leur dispersion dans le courant. Il écrit « Voyage d’exploration sur le littoral de la France et de l’Italie«
J’ai trouvé des textes aux archives qui dénoncent les techniques préconisées par Coste. Parce qu’en fonction des lieux, d’autres techniques fonctionnent mieux. J’ai lu aussi des mémoires de gens, ni scientifiques ni savants, qui ont cherché à faire se reproduire les huîtres pour en maîtriser l’élevage.
Coste n’a peut-être rien inventé (il s’inspire également des travaux de Ferdinand de Bon, commissaire de la marine, qui invente un plancher de captage) et l’empirisme est roi dans les recherches que l’on fait à tâtons. L’apport de Coste apparaît surtout dans la synthèse qu’il fait de ces essais et les applications qui en découlent. L’empereur lui donne les moyens de mettre en place ce qui finira par devenir l’ostréiculture. Les différentes volontés mobilisées, l’aide des pêcheurs locaux, des curieux opportunistes qui sentent venir de loin la potentielle réussite de l’industrie huîtrière, font que l’ostréiculture a de beaux jours devant elle dès 1860/70.
(Extrait d’un courrier daté du 30 juillet 1864 et signé du Vice-Amiral Préfet Maritime Louis-Narcisse Chopart, adressé au Préfet du Morbihan, assez clairvoyant)
Ici, sur le littoral morbihannais, le pays de Vannes et celui d’Auray comptabilisent depuis longtemps le nombre d’huîtres vendues, à la pièce, les réglementations de pêche sont mises en place assez tôt, les demandes de concessions augmentent dès 1870. Le ministère de la marine et des colonies est propriétaire du littoral, il faut rédiger des demandes officielles et argumentées pour obtenir le droit d’exploitation d’un parc. Ceux qui sont inscrits maritimes, les anciens pêcheurs par exemple, et qui obtiennent ce droit, sont exonérés de redevance.



Dans la rivière d’Etel, les demandes sont plus tardives que dans le bassin d’Auray. Il existe des demandes de concessions des années 80 qui ne sont pas accordées, ou abandonnées, sans doute parce qu’à l’essai, le terrain ne se prêtait guère à une quelconque ostréiculture. Trop de vase par exemple. Vincent Tonnerre a d’abord essayé au niveau du chenal Saint Jean avant de se replier vers l’anse de Listrec.
Quand les techniques sont en place, la situation est inverse à celle que l’on connaît maintenant : c’est au sud de la Loire que le captage n’est pas fiable, les arcachonnais dépendants des bretons pour se fournir en naissain. En effet, l’huître plate se reproduit dans une eau plus fraîche que celle de l’espèce majoritaire aujourd’hui, l’huître creuse.
L’aventure de l’huître dans notre famille est venue de l’île de Groix.
Vincent Marie Tonnerre, un arrière grand oncle du grand-père Yvon (Vincent est le frère de Radegonde Tonnerre, l’épouse de Gildas Yvon 1, la mère de Gildas Yvon 2, qui est le père de Jean Yvon premier, tu vois?), est l’un des premiers à s’être installé dans la rivière, le premier dans le haut, à Locoal, entre la presqu’île du Verdon et l’anse de Listrec. Groisillon, il devait être assez visionnaire, courageux ou téméraire pour se lancer, à partir de rien, dans cette ostréiculture naissante.
Et puis des embryons de famille groisillonnes ont suivi, faisant leur place où nous sommes encore aujourd’hui.
L’ostréiculture n’est pas une sinécure. Sans doute est elle plus sûre que le métier de marin, où la mortalité est élevée, mais elle reste difficile à mettre en place, et il en aura fallu force de bras pour la pérenniser.
Les Tonnerre (Emilien Tonnerre épouse Eglantine Flora Le Grel en 1912 à Locoal-Mendon après avoir quitté Groix) qui commencent ici, ne sont pas favorisés, entre la guerre, et les rigueurs des hivers. En 1920, une forte mortalité touche les huîtres, la rivière était gelée, mais peut-être était-ce autre chose,.
Malgré tout la production des huîtres plates atteint, en France, dans la fin des années 1960, un tonnage de 20000 tonnes. Ici, la vie est plus légère, on vit au présent, on dépense. On dit de l’ostréiculture que c’est un jeu « on jette nos dés à l’eau ». J’aurais tendance à penser qu’on se console des difficultés d’un métier impitoyable. Et puis que sera sera.
Mais on verra arriver deux parasites à 10 ans d’intervalle, le Marteilia (1968) puis le Bonamia (1979). Depuis les années 80, la production des huîtres plates est tombée à 2000 tonnes.
L’huître creuse n’existait en Bretagne qu’en rivière de Penerf et d’Etel, depuis 1950. Il s’agissait de l’espèce dite portugaise, qui sera à son tour éradiquée dans les années 70. Et remplacée par la Japonaise, celle qui se cultive encore de nos jours. C’est la culture de ces huîtres qui remplacera la production des huîtres plates sur tout le littoral. Et sauvera le métier d’ostréiculteur, même si les différentes crises ont mis sur le carreau plusieurs entreprises et depuis 2008, une perte d’un savoir-faire.

Tous les gens de ma génération ont perdu l’habitude de manger des plates. Ce n’est plus un produit courant, c’est devenu un produit rare et cher. Mes enfants, si je n’étais pas dans ce métier, n’auraient sans doute jamais l’occasion d’en goûter.
Ceux qui en parlent le mieux et avec gourmandise, sont les « anciens ». Il suffit de voir leurs yeux briller pour comprendre le plaisir qu’ils ont à venir chercher leur panier ou leur douzaine, celle qu’ils se réservent pour les grands moments, pour se rappeler leur jeunesse ou un moment de vacances.
À l’origine était l’huître plate, mais elle a quasiment disparu pendant presque 50 ans.
Il y a une petite dizaine d’années, quelques ostréiculteurs de la Ria ont constaté la présence du bivalve sur les parcs. La présence. Mais pas la prolifération. C’était presque à se dire, laissons les, ne les pêchons pas, elles ne sont pas assez nombreuses.
Néanmoins, il a germé dans leurs esprits d’ostréiculteurs un peu frondeurs, un peu optimistes, oserions nous dire, un peu « joueurs »? l’idée que la plate avait encore la possibilité d’exister, puisque quelques individus subsistaient.
Pour aider des huîtres à se développer, c’est un retour aux sources, il faut retrouver des gestes oubliés? Se rappeler de l’époque où les huîtres plates étaient captées en quantité sur les tuiles chaulées.
Oui.
L’idée qu’il était possible de re dynamiser le banc naturel, le banc amodié, s’est concrétisée par des actions du syndicat ostréicole, comme de semer des supports propres dans le chenal, qui serviraient de collecteurs aux larves. Le but étant de favoriser la fixation, au moment de la reproduction.
D’ailleurs, à la source, l’huître génitrice est dite « huître mère » et vivipare, l’huître plate féconde ses oeufs à l’intérieur de sa coquille, les gardant bien au chaud pendant 8 à 10 jours avant de larguer dans l’eau les larves déjà fécondées. Anthropomorphisme quand tu nous tient, on parle d’instinct maternel de l’huître plate !
Des conditions atmosphériques défavorables (trop chaud, trop froid, trop de pluie, pas assez…) n’ont pas favorisé de captage visible les premières années. Mais, en sachant qu’une huître plate est mature sexuellement à 5 ans, nous savions qu’il faudrait attendre au moins 5 à 7 ans.
Cela fait 8 ans que j’assistais à l’opération « redynamisation », et c’est cette année 2019 que le constat est là : jamais, de carrière de mon ostréiculteur de patron de mari, nous n’avions vu autant de petites huîtres sur tous les parcs.
Cette marée d’été faite avec mon amoureux, où, plus que jamais je faisais attention où se posaient mes pieds, tant à voir de petites huîtres et avoir peur de les enfouir sous la vase! L’impression de rêver, avec ces innombrables coquillages, ronds, petits, fragiles, mais visiblement en forme.

La magie me saisit à chaque fois que j’arpente tel ou tel parc. À présent que j’ai tenu entre mes doigts les documents de « pétitionnaire » comme Vincent Tonnerre ou Yves Le Grel, qui se sont installés ici entre 1895 et 1897, que j’ai lu et entendu les histoires orales du travail qui a été fait, à la fois pour obtenir une concession, ou pour travailler le sol qui permettait l’élevage, je suis émue de pêcher à la main ces petites huîtres qui ont fait la vie que je mène.
Je marche sur un sol durcit au sable de la barre, embarqué à la main sur les chalands en bois à fond creux et transporté à force d’aviron (9 mètres l’aviron, je ne sais pas si tu mesures la force qu’il faut déployer), avant d’être semé puis ratissé.

Chaque fois que Jean-Noël passe la barre et les chaines pour entretenir le parc, il entretient ce travail titanesque produit par ses grand-pères. Je ne parlerai pas ici des grand-mères. Mais je suis Ô combien consciente de ce qu’est d’avoir charge d’enfants pendant l’absence d’un mari à la guerre, et d’une autre encore, tout en entretenant vaille que vaille un outil de travail qui n’était pas encore aboutit dans la première moitié du XXème, avec toutes les incertitudes financières d’une année sur l’autre quand un hiver rigoureux anéantit quatre années de travail.
C’est ainsi que nous travaillons; à la fois dans le respect de la nature, et dans le respect (et souvent l’admiration) du travail accompli alors que la mécanisation n’était pas la même qu’aujourd’hui.
Voir, à mes pieds, autant de petits coquillages est un cadeau.
À l’heure actuelle de la planète, c’est déjà beaucoup.

Sources ? Sur les liens en couleur, tu cliques. Le reste est aux Archives départementales du Morbihan! et dans ma tablette photos.
-Un petit résumé bien fait sur l’état des lieux de la filière ostréicole ici
-J’espère que l’ennui ne t’a pas saisi avant la fin, et que tu pardonnes les fautes résiduelles, mais certaines, tant à relire je m’aveugle.
Merci Tifenn…L’ennui ne m’a pas pris, juste le plaisir de savoir…Biz
Merci!
« Tonnerre de Listrec » , quasi le nom d’un roman…. :0> …
N’est-ce pas! mais non, j’en ai un autre en tête :p
J’ai commencé a manger des huitres a 60 ans, j’en ai 66, avant il ne fallait pas m’en parler maintenant j’adore çà.
Merci pour votre site qui est très très intéressant j’y ai appris des tonnes de choses, il est écrit d’une manière qui donne envie d’en savoir toujours plus ,par des personnes qui apparemment ont encore un vrai sens des valeurs.
Je vous souhaite plein de bonnes choses pour 2021 et merci encore