L’automne verse ses couleurs en arbre et en douceur sur la Ria d’Etel, comme partout ailleurs. Nous vivons dans un endroit privilégié, ni trop, ni trop peu. J’en sais le précieux, chaque fois que j’allume l’écran noir, qui ne montre qu’images dévastées, d’eau, de vent, de feu.
Et je me souviens des coquelicots.
L’automne est au chantier ce que la moisson est au blé, l’été.
Depuis plusieurs semaines déjà, nous levons les poches. Je dis nous, mais c’est plutôt « eux » devrais-je préciser.
Nous entrons dans la période des dépressions, avec les vents qui gardent l’eau bien à l’abri de la Ria, ces marées où la mer ne descend pas beaucoup. Alors, le chaland reste à hauteur de hanche, et au fur et à mesure du chargement, la hauteur des piles est telle qu’il est très difficile de « lever » les poches.
Et je ne raconte pas que le fait de lever les bras, laisse toute la place à l’eau glacée de couler de la main à l’épaule, mais c’est sans gravité, car ça donne chaud les marées! (emoji qui rit)

En attendant, une fois à terre, à quai plus exactement, le chaland est déchargé, les poches sont déficelées et vidées en container, pour que les huîtres soient triées et calibrées.

J’avais déjà expliqué les codes couleurs des mannes, code mis à mal quand il n’y a plus assez de mannes!
Il n’empêche que le tri, c’est une histoire de rangement et de stockage. On met dans le bassin submersible les huîtres qui partiront dans les 15 jours, pour les préparer à l’expédition : rappelle-toi ce « bassin de trompage » où fermer la vanne empêche l’eau de mer d’entrer, et donne aux huîtres l’occasion de faire un peu de sport, à savoir muscler l’adducteur qui maintient sa coquille fermée ! Elle pourra s’entrouvrir, bailler, quand la vanne sera ouverte : l’eau change la pression atmosphérique sur l’huître, signal pour le bivalve que c’est le moment de manger et de se relâcher!

Un peu avant Noël, un bassin bien plein est bon signe !
Tu vois que nous ne dépassons jamais 3 hauteurs de mannes, pour que les huîtres soient toujours immergées quand le bassin se remplit et surtout pour que les huîtres du bas ne soient pas noyées de sédiments, de vase et autres particules créées par la présence des huîtres au-dessus! Nous avons de la place, autant ne pas hésiter, les coquillages n’en profiteront que mieux!

D’autres huîtres sont remises en poches pour passer un stade de « finition » ou « d’affinage » même si l’affinage ici n’a pas de sens règlementaire réel. Nous n’avons pas de bassin d’affinage, comme en Charentes ou à Marennes avec les « claires ». Si un jour quelqu’un vous parle d’huîtres bretonnes de claires, c’est du pipeau, car les claires n’existent pas en Bretagne, point. Elles existent des rives de la Loire à celles de la Seudre. Ce sont souvent d’anciens marais salants, des bassins creusés par l’homme dans l’argile. Elles apportent une spécificité toute particulière au mollusque. Et je voudrais vraiment goûter un jour ces huîtres si belles, vertes de navicule bleue, élevées avec le respect des densités. Oui, j’ai des lacunes gustatives, ne connaissant que, ou presque uniquement, les huîtres de Listrec! (J’ai goûté la Virginica, la hollandaise, la Gazar, c’est déjà pas mal pour quelqu’un qui n’aimait pas les huîtres avant!)
Ici, nous aimons parler d’affinage quand nous finissons d’apprêter les huîtres : nous les remettons sur tables où elles vont pouvoir se gorger tout à loisir de planctons, dans des poches propres, pas trop pleines, et donner à sa chair une belle qualité.
Ça me fait penser que peut-être il faudrait écrire quelque chose sur les fines, les fines de Bretagne, les fines de claires, les spéciales etc…
Des termes usuels, familiers pour nous, qui, au vu des questions qu’on nous pose parfois, ont le don de tout mélanger entre la réalité et la fiction, commerciale évidemment.

Nous mettons aussi de côté quelques beaux morceaux, des huîtres de sol, draguées, qui avaient été oubliées les années d’avant… Une année, j’en ai envoyé deux à de jeunes enfants, véritables amateurs d’huîtres, sous forme de petit coffret « Chaussons » du père Noël! Elles étaient plus grandes que ma main !

La saison est lancée, avec ses bouleversements habituels, ses retournements de situation, dus à la météo, à l’actualité, à l’humeur des patrons!
Nous espérons que vous aurez l’occasion de goûter vous aussi ce produit d’exception, exceptionnel pour toutes les raisons que vous pouvez imaginer, propres au produit lui-même qu’il faut préserver dans son intégrité ainsi que par ce travail que nous faisons, en dialogue avec dame Nature, même quand ça nous épuise.
Le fait de vous rencontrer nous donne souvent l’énergie qu’il faut!
D’ailleurs, nous sommes à Marcq-en-Baroeul la semaine prochaine, le premier week-end de décembre, à l’hippodrome, avec la Bouée Bleue et l’association Marcq-Madagascar!
Merci les Amis ! il a fallu que j’atteigne mon « grand » âge pour comprendre comment grandissent ces petites merveilles que je dévore depuis bien longtemps avec un plaisir immense.
Merci pour le cours, mais aussi grand merci pour tout ce travail !
Ah ah ah ! Le grand âge !
Moi je suis pressée d’apprendre le plancton 😁
Merci d’avance et à bientôt !!
Que de douceur et même de tendresse dans cette lecture… qui me rappelle Anjela Duval, cette grande poétesse-paysanne du Trégor.
Sa poésie, à l’opposé de la vulgarité commerciale, inspirée par son environnement, exprimait avec finesse et force son rapport intime avec le travail de paysanne et la nature qui l’entoure. Avec son regard innovant sur le rapport à la terre et aux saisons, sur les animaux et les arbres, elle fût pour bien des gens une éveilleuse de conscience.
Il y a quelque chose de tout cela dans ce bel article où les saisons, les couleurs, les eaux de la ria, les huîtres et les hommes (et femmes 🙂 ) qui les élèvent sont intimement liés.
Avec le travail (et l’amour du travail) comme liant, le fruit de cette union, oui, ne peut être qu’un produit d’exception…
Je ne sais pas quoi répondre! Merci? plus que merci? En tout cas je vais devoir lire Anjela Duval que, à ma grande honte, je ne connais pas. Et merci, vraiment.