Au début, tout au début…
Mon hypothèse est la suivante : l’homme n’a pas mangé d’huîtres avant d’avoir découvert le feu.
Sinon, quelle idée saugrenue que de s’amuser à ouvrir un caillou.
Peut-être qu’un homme préhistorique un jour a voulu faire son barbecue de mammouth, a entassé quelques pierres pour y installer le brasier, et accidentellement quelques cailloux de la plage se sont incrustés, s’ouvrant sous l’effet de la chaleur.
L’huître chaude était née.
Trêve de plaisanterie, l’huître est consommée depuis le début des temps, on en a la preuve par fossiles interposés.
Et puis les grecs. Ils ont inventé Dionysos, les banquets et les vertus aphrodisiaques de l’huître. Et le couvercle de l’huître servait de bulletin de vote : on y inscrivait le nom de la personne qu’ils voulaient bannir de la cité. D’où le terme ostracisme du grec « ostracon » qui veut dire coquille.
On ne dit pas s’ils en faisaient des castagnettes.
Et puis les romains. Eux se délectaient d’huîtres plates. Ils lui ont donné le doux nom de « callibléphares » c’est à dire « Belles Paupières », fermées les paupières. Sergius Orata (140-91 av.JC) crée les premiers parcs à huîtres.
À l’époque médiévale, l’huître est à la fois le plat du pauvre qui, avec l’accès à la côte, va pêcher l’huître sur les bancs naturels, et plat des riches qui s’en régalent en ragoût, dit-on.
En plein siècle des Lumières, Casanova n’en finit pas d’en consommer, jusqu’à douze douzaines au petit déjeuner, dit-on toujours.
(c’est fou ce qu’on trouve sur l’histoire de l’huître quand on cherche un peu).
François Vatel s’en suicida de dépit de ne pas voir arriver ses bourriches sur la table de Louis XIV.
Mme de Sévigné : « Voici ce que j’apprends en entrant ici (à Chantilly, vendredi soir 24 avril 1671), dont je ne puis me remettre et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande, oyant que ce matin, à huit heures, la marée n’était pas encore arrivée, Vatel n’a pu soutenir l’affront dont il a cru qu’il allait être accablé, et, en un mot, il s’est poignardé. Vous pouvez penser l’horrible désordre qu’un si horrible accident a causé dans cette fête ; songez que la marée est peut-être arrivée comme il expirait. Je n’en sais point davantage présentement ; je pense que vous trouverez que c’est assez. Je ne doute que la confusion n’ait été grande : c’est une chose fâcheuse à une fête de cinquante mille écus. »
Tiens, même les peintres se sont repus de l’huître en peinture :
Jean-François de Troy « Le déjeuner d’huîtres »
Bref, le succès fou de ce mollusque bivalve fini par épuiser les bancs naturels où il est pêché.
Si les Chinois avaient déjà fait du captage d’huîtres dans un temps fort fort lointain, l’ostréiculture dite moderne n’est pas un vieux métier.
Le double effet pas du tout cool de la surpêche et d’une météo trop rigoureuse (gelées), a fait réagir des chercheurs et biologistes pour la reconstitution des gisements et la mise en place d’un captage artificiel.
Le biologiste Jacques-Marie-Cyprien-Victor Coste, membre de l’Académie des sciences, a accéléré et synthétisé l’ensemble des recherches. Avec Ferdinand-François De Bon, chef de service de la marine à Saint-Servan (En 1853 a inventé un « plancher collecteur » pour naissain d’huîtres plates) ils ont posé les premiers collecteurs français, donnant naissance en 1858, à l’ostréiculture.
Plancher collecteur de Ferdinand de Bon
Et pendant ce temps là, sur la Ria…
Sur la Ria, le temps semble parfois immobile.
À marée haute, la surface liquide étend son drap scintillant jusqu’à la côte. Il y a 150 ans, le paysage devait être le même, large et protégé des pins maritimes, l’eau argentée ou vert émeraude selon les caprices du soleil.
Pourtant, à marée basse, on peut deviner que le temps s’écoule, aussi vite que sous le pont Lorois.
À la côte, des vestiges du passé apparaissent, squelettes de bois d’anciens bateaux de pêche, d’anciens chalands à fond creux, parfois même un chaland plastifié sur le bord d’une rive, ponton plat devenu ponton de loisir qui permet d’accéder à l’eau sans poser les pieds sur la vase.
Sur les bords du chenal, les tables des ostréiculteurs témoignent de l’activité de la rivière, moins intensive aujourd’hui qu’elle n’a pu l’être il y a quelques années encore.
Quand naît l’ostréiculture moderne, des nombreux facteurs se mélangent, permettant à l’ostréiculture de connaître un fort développement dans la ria d’Etel.
La famille de Jean-Noël Yvon est parmi l’une des premières à avoir développé l’ostréiculture sur la rivière d’Etel, aber, ria, estuaire, où l’eau douce et de mer se mélangent pour donner vie au plancton nourricier de l’huître, l’huître qui a toujours existé avant même sa culture, sur les bancs naturels, protégés, qu’on appelle aussi bancs amodiés.
Un arrêté du 29 novembre 1862 écrit : « la pêche aux huîtres est autorisée au râteau le 5,9 et 20 décembre sur le banc de Bescatigue, le 24 du même mois sur les herbiers de Coët Courso et de l´ours, et à la drague les 19 et 20 mars 1863 sur les bancs d´Istrec et de Riec de la Rivière d´Etel ».
Ou encore :
21 novembre 1895 : Autorisation donnée à Vincent Tonnerre, de Groix, d’établir un parc à huîtres sur la rive gauche de la rivière d´Etel longeant la rive droite du chenal Ster-er-Istrec au sud et à la suite du parc 545 (parc 1132).
Pour comprendre, je dois remonter aux grand-pères de Jean-Noël, venus de l’île de Groix.
Jean Yvon et Emilien Tonnerre sont arrivés de Groix à Locoal-Mendon, vers 1920. Plusieurs versions existent sur la venue des grecs à Locoal-Mendon.
Un Dundée de Groix, photo de famille. (pêche à la sardine)
Premièrement le contexte groisillon en général qui, de l’activité sardinière passe à celle du thon, et la transition entre la pêche à voile et à vapeur.
Dans les années 1850, la transition entre la pêche à voile et à vapeur, ainsi que la raréfaction des bancs de sardines autour de l’île, a laissé un certain nombre de marins sac à terre, même si « la grande pêche » (pêche au thon) remplace peu à peu celle de la sardine jusqu’à faire la fortune et la réputation de Groix, avec Port-Tudy devenu un port thonier important jusqu’en 1940.
L’abbé Laurent Marie NOEL décrit en octobre 1891 la flotte groisillonne en termes élogieux: «Notre pays doit sa prospérité au grand nombre et à la solidité de ses bateaux pontés.
Le poisson disparaît peu à peu de la côte. A peine en reste-t-il assez pour suffire aux besoins d’une cinquantaine de familles. La sardine elle-même, qui naguère encore était notre principal gagne-pain, a déserté nos parages, ou bien se vend à des prix dérisoires, ou bien n’est pas du moule qui convient aux conserves et, dans ce dernier cas, trouve difficilement des acheteurs.
Aussi, les pêcheurs du voisinage qui, à cause de l’exiguïté de leurs embarcations, sont obligés de se tenir tout près des côtes, semblent réduits à ne pas avoir de quoi vivre. Je connais certains ports où la plus affreuse misère va régner, l’hiver prochain. L’avenir est à qui pourra, sans danger, affronter la haute mer. C’est en pleine mer, en effet, que le thon se pêche et qu’on fait la drague. Le thon et la drague, voilà deux sources de richesse, deux mines d’un prix inestimable. Il y a déjà bon nombre d’années que nos marins groisillons les exploitent et en retirent de beaux profits. Ils sont admirablement montés pour cela » (Histoire de l’île de Groix ).
Un thonier de Groix avec sans doute un membre de la famille, mais pas d’identification possible aujourd’hui.
« À partir de la première guerre mondiale, la politique favorable au développement du chalutage à vapeur, ajoutée aux bouleversements apportés par l’évolution des modes de propulsion, accélère la décadence de la pêche à la voile. Il en résulte une transformation de la structure sociale groisillonne, en particulier, de nombreux jeunes doivent désormais chercher un embarquement dans les ports du continent et notamment celui de Lorient – Kéroman, en plein développement.
La guerre est terminée, certes, mais la flottille de Groix a durement souffert entre 1914 et 1920. Et l’âge d’or de la Belle Epoque, avec sa monnaie solide, s’est bien enfui.
» Il convient de jeter un coup d’œil sur les dépenses de matériel pour s’apercevoir de suite qu’elles atteignent des proportions inquiétantes; la voilure, par exemple, qui coûtait 1,8 F le mètre en 1913 se vendait 7 F en 1919, c’est-à-dire avec une majoration de 400 % ; de même le cordage passait de 1,4 à 8 F le kilo, soit une majoration de 600 %. La même remarque s’applique à la peinture dont la hausse va jusqu’à 500 % étant donné que le kilo passe de 1,4 en 1913 à 7 F en 1919. Le coaltar se vend actuellement le quadruple de son prix d’avant-guerre et il en est de même pour tout le matériel indispensable à l’entretien des embarcations. » C.I.M., 16 mars 1920
Or, aucun bateau neuf n’a été construit depuis 1914. » (Histoire de l’île de groix)
Deuxièmement, un contexte particulier, puisqu’on dit dans la famille, que ce serait un recteur de Groix qui serait originaire de Locoal ou qui y aurait vécu, qui aurait conseillé d’aller voir sur le continent ce nouveau métier en train de naître, une opportunité à saisir pour ceux qui le peuvent.
On entend aussi parler de la tempête de 1920 (15 septembre, 27 morts ou disparus) qui a découragé les marins de leur métier, les décidant à quitter l’île.
À Locoal, les groisillons sont appelés les « Grecs« *. Ils sont nombreux à s’installer sur la presqu’île du Verdon, que les « natifs » appellent alors « les colonies ».
Visiblement l’implantation des Groisillons et autres venus d’ailleurs sur la commune ne s’est pas toujours faite sans heurts. L’espace qui serait occupé par l’élevage des huîtres, empiète sur le droit du goémonier.
Ainsi ce témoignage : « Monsieur Gaudin, propriétaire à La Forest attire l’attention de Monsieur le Maire sur l’envahissement des côtes dépendantes du territoire de la commune par les concessionnaires de parcs à huîtres. Le conseil, après en avoir délibéré, estimant que les demandes trop nombreuses de parcs annihilent pour la commune son droit si précieux au goémon de la côte, décide qu’il y a lieu de protester contre les demandes nouvelles de concessions » (1899, Locoal)
Ou encore :
« ces dernières (les parcs à huîtres) ne peuvent manquer de porter un préjudice considérable à tous les habitants de la commune en les privant de toutes les ressources que leur procurait le littoral, nécessaires pour l´exploitation des terres… les propriétés riveraines ont une valeur double des autres car les fermiers ont sous la main les engrais marins, réputés à juste titre les meilleurs pour l’agriculture et lui à eux seuls constituent toute la richesse fertilisante de ce pays » (1864, Locmariaquer)
La pêche des huîtres était traditionnelle, à pieds au bord de la côte, en bateau dans les eaux plus profondes. Elle était pêchée, ou draguée sur les bancs naturels, la ressource riche.
Dès 1871, on trouve des demandes de concessions. Les métiers de ces demandeurs sont précisés, capitaine au long cours, maître au cabotage, négociant, cultivateur. La Crass Ostre Edulis, est cultivée sur des sols durcis et sablés à mains d’hommes et chalands en bois creux.
5 mai 1899 : Autorisation donnée à Vincent Tonnerre, de Groix, et à Benoît Thomas d´établir un parc à huîtres de 25 ares sur la rive gauche de la rivière d’Etel longeant la rive droite du chenal Ster-er-Istrec au nord du parc 1195 (parc 1256) et un autre de 15 ares à Vincent Tonnerre à 28 mètres de la chaussée du Plec (parc 1257).
16 mars 1899 : Autorisation donnée à Vincent Tonnerre, de Groix, d’établir un parc à huîtres de 75 ares sur la rive gauche de la rivière d’Etel au nord et sur la côte ouest de la presqu’île du Plec (parc 1250).
*Tu ne sais pas pourquoi on appelle les Groisillons des Grecs?
Il paraît qu’à Groix, on est caféinomanes. Un peu comme partout en Bretagne d’ailleurs, mais à Groix on voyage alors on partage. Le café était bu dans une cafetière, si, si, mais cafetière en breton ça se traduit « greg » et se prononce « grec ». On appelle cette cafetière la Grecque! (même dans le Finistère on avait ces cafetières là…)
Suite au prochain numéro…( l’huître plate de la ria)
J’ai tout compris et beaucoup appris
prête pour la suite
toutes mes félicitations, gros boulot qui passe en douceur dans le texte, sans lourdeur ce qui est le propre de la « vulgarisation » intelligente et savante
et j’ai très très envie de manger des huitres avec vous ( elles sont encore meilleures)
PS
tiens, il y a un r à enlever à conseiller ( je rêve que les gens relèvent mes coquilles….pas celles d’huitres hein ! alors je me permets,mais tu avais vu)
« originaire de Locoal ou qui y aurait vécu, qui aurait conseiller d’aller voir sur le continent ce nouveau métier «
Vu! merci m’dame, je ne voyais plus que par coquilles fermées 🙂
La suite est presque écrite, enfin de la même façon qu’avant ce texte, une compil d’infos indigestes qu’il faut que je décante… ça va viendre…